Les MacAllister #3 - Né dans le péché


 Chapitre 1

 

   Londres
   Douze ans plus tard
   -Je préférerais encore me châtrer avec une lame émoussée.
   Sin avait articulé lentement, pesant chaque mot.
   Le roi Henry II se tenait à quelques mètres, sans garde du corps ni courtisan pour le protéger. Ils se trouvaient seuls dans la salle du trône. N’importe quel autre homme aurait courbé l’échine devant son souverain. Mais Sin ne s’était jamais incliné devant personne, et Henry le connaissait suffisamment pour ne pas attendre ce genre de réaction de sa part.
   -Je pourrais te l’ordonner, dit-il sèchement.
   Sin haussa les sourcils.
   -Essayez donc.
   Henry sourit malgré lui, et la tension entre eux baissa d’un cran.
   Ils étaient amis depuis des années, depuis la nuit où Henry s’était retrouvé avec une lame de cimeterre sous la gorge. Sin l’avait épargné et, à compter de ce jour, Henry n’avait plus pu se passer de l’homme qui n’avait jamais été impressionné par son pouvoir ni son autorité.
   Sin ne rendait de comptes à personne, qu’il soit roi, pape, sultan ou mendiant. Rien ne l’intimidait ni ne le touchait. Il était impossible de lui imposer quoi que ce soit.
   Il était totalement seul dans la vie.
   C’était son désir et son choix.
   -Je ne suis pas monté sur ce trône en étant naïf, Sin. Je sais parfaitement comment tu réagirais si je te donnais un ordre : tu me tournerais le dos et prendrais la porte. Pour rien au monde je ne voudrais faire de toi un ennemi. C’est pourquoi je te le demande en tant qu’ami.
   -Soyez maudit.
   Henry se mit à rire.
   -Si je devais être maudit, ce serait pour des péchés autrement plus graves.
   Il reprit son sérieux et regarda Sin droit dans les yeux.
   -Je te repose donc la question en ami : épouseras-tu l’Écossaise ?
   Sin ne répondit pas. Il serra les dents en contractant les mâchoires.
   -Je t’en prie, Sin, insista Henry sur un ton presque implorant. J’ai besoin de toi. Tu connais les Écossais, tu es l’un d’eux.
   -Je ne suis pas écossais, rétorqua Sin. Je ne le serai jamais.
   -Tu comprends leur manière de penser, tu connais leur langue. Tu es le seul à pouvoir me rendre ce service. Si j’envoie quelqu’un d’autre, ces sauvages sanguinaires lui trancheront la gorge et me renverront sa tête dans un sac.
   -Parce qu’ils n’en feront pas autant avec moi ?
   Henry se mit à rire.
   -Même l’archange Michel ne pourrait t’égorger sans ton consentement.
   Il n’avait pas tort. Néanmoins, ce « service » était beaucoup trop lui demander. Il ne voulait pour rien au monde se retrouver enchaîné aux Écossais. Il haïssait ce pays et son peuple. Il aurait préféré pourrir sur place plutôt que de remettre un orteil en Écosse.
   -Je te promets que ma récompense sera à la hauteur de ton sacrifice, essaya Henry.
   -Je n’ai besoin ni d’honneurs ni d’argent.
   -Je sais, répondit Henry. C’est pourquoi j’ai une telle confiance en toi. Tu es le seul homme incorruptible que je connaisse. Tu es également un homme d’honneur, et je sais que tu ne tourneras jamais le dos à un ami qui a besoin de toi.
   Sin le dévisagea sans sourciller.
   -Henry, en tant qu’ami, je vous demande de ne pas exiger de moi un tel sacrifice.
   -Je regrette sincèrement d’avoir à le faire. Je ne tiens pas à éloigner mon seul véritable allié. Cependant, j’ai besoin d’un homme de confiance qui connaisse l’âme du peuple écossais et sache le diriger. Le seul autre de mes sujets qui en serait capable est ton frère Braden. Mais comme il a désormais une épouse…
   Sin serra de nouveau les mâchoires. S’il avait été heureux de voir son jeune frère se marier, il regrettait à présent qu’il ne soit plus célibataire. Braden savait s’y prendre avec les femmes.
   Lui ne connaissait que la guerre. Sa demeure était le champ de bataille ; ses uniques alliés fidèles qui ne le trahiraient jamais étaient son épée, son écu et son cheval.
   Quoiqu’il ne soit pas entièrement sûr de son cheval.
   Il ne connaissait rien aux femmes et ne souhaitait pas les connaître.
   -Si cela peut te consoler, ajouta Henry, c’est une beauté. Tu n’auras aucune difficulté à lui faire un enfant.
   L’idée d’avoir un enfant, surtout dans le seul but de transmettre des titres et des terres, ne signifiait rien pour Sin.
   -Je ne suis pas un étalon, Henry.
   -Ce n’est pas ce que disent les rumeurs qui circulent à la cour. J’ai entendu dire que tu étais très…
   -Cette femme est-elle au courant de vos projets ? l’interrompit Sin.
   Il n’aimait pas parler d’affaires personnelles, surtout avec Henry.
   -Bien sûr que non, répondit le roi. Elle ignore tout de toi et n’a pas son mot à dire. Elle est mon otage et obéira à mes ordres ou sera exécutée.
   Sin se passa une main sur le visage. Henry était parfaitement capable de mettre sa menace à exécution, et il savait déjà à qui il demanderait d’exécuter cet ordre royal.
   -Henry, vous savez ce que je pense du mariage.
   -Oui. Néanmoins, j’aimerais sincèrement te voir avec une épouse. Bien que ton service ait toujours été irréprochable, le fait que tu n’attaches de valeur à rien m’a toujours inquiété. Je t’ai donné des terres, des titres et des sommes considérables. Tu les as dédaignés comme s’il s’agissait de poison. Depuis que je te connais, et cela fait de longues années, tu as toujours vécu avec un pied déjà dans la tombe.
   -Vous croyez qu’une épouse me ramènera du côté des vivants ?
   -Oui.
   Sin émit un petit ricanement sardonique.
   -Je vous le rappellerai la prochaine fois que vous vous plaindrez d’Aliénor.
   Henry rit si fort qu’il faillit s’étrangler.
   -Un autre homme que toi serait mort pour une telle audace !
   -Je pourrais en dire autant de vous.
   Cela calma l’hilarité de Henry. Il se mit à marcher de long en large. À son expression, Sin devina qu’il se remémorait un souvenir lointain.
   Lorsque le roi se remit à parler, sa voix était chargée d’émotion.
   -Te souviens-tu de la nuit où tu es entré dans ma tente pour m’égorger ? Te rappelles-tu ce que tu m’as dit ?
   -Oui, que je vous offrais ma loyauté en échange de ma liberté.
   -Exactement. Or, j’ai besoin aujourd’hui de ta loyauté. Philippe de France essaie de m’arracher la Normandie et l’Aquitaine. Mes fils réclament leur part de pouvoir. Et voici que ce clan de Highlanders attaque les quelques Anglais que j’ai postés pour protéger ma frontière au nord. Je suis agressé de toutes parts. Même un taureau enragé finit par être terrassé par une meute de chiens affamés. Je suis épuisé. Il me faut rétablir la paix avant qu’on me tue. M’aideras-tu ?
   C’étaient les seuls mots auxquels Sin était incapable de résister. Il maudit intérieurement ce dernier vestige de conscience qui demeurait encore en lui.
   Il émit un grognement sourd. Il existait sûrement un moyen de se sortir de ce pétrin. Si seulement…
   Une idée lui vint soudain, et il se retint de sourire.
   C’était parfait, aussi sournois qu’il l’était lui-même.
   -D’accord, annonça-t-il. J’épouserai cette femme, mais uniquement si vous trouvez un prêtre qui accepte de nous marier.
   Henry pâlit.
   Au cours des neuf dernières années, Sin avait été excommunié cinq fois. Sa dernière excommunication s’accompagnait d’une condamnation papale le vouant à rôtir en enfer pour l’éternité aux côtés du diable en personne.
   Le pape lui-même qualifiait Sin de rejeton préféré de Satan.
   Henry ne trouverait jamais de prêtre qui oserait le bénir lors d’une cérémonie de mariage.
   -Tu crois m’avoir piégé, n’est-ce pas ? demanda Henry.
   -Pas du tout. Comme vous l’avez dit vous-même, je connais les Écossais. Ils n’accepteront jamais un mariage qui n’ait pas été sanctifié. Je ne fais que vous donner les conditions de notre union.
   -Fort bien, j’accepte tes termes et m’assurerai que tu tiennes ton engagement.

 

 

     

 

 


Texte original © Kinley MacGregor - 2003
Traduction © J'ai Lu Pour Elle - 2020