Les MacAllister #3 - Né dans le péché


Chapitre 2

 

 

   -Cette fois, on va vraiment s’échapper, Callie ?
   Caledonia MacNeely arrêta son petit frère dans l’étroit couloir qu’ils avaient emprunté pour sortir du château du roi Henry. Elle s’agenouilla devant lui et chuchota :
   -Si tu te tais, nous y parviendrons peut-être.
   Elle lui sourit pour atténuer la sévérité de ses paroles et redressa le bonnet phrygien sur la petite tête du garçon. Âgé de six ans, l’enfant avait encore ses joues rondes de bébé. Il la dévisageait avec de grands yeux bleus confiants.
   -Jamie, n’oublie pas que nous sommes des serviteurs anglais, lui rappela-t-elle. Si tu ouvres la bouche, ils sauront que nous venons des Highlands.
   Il hocha la tête.
   Elle remonta ses boucles rousses sous son bonnet. Ils avaient la même couleur de cheveux, leur seul point commun. Callie ressemblait à sa chère mère disparue alors que Jamie tenait de sa propre mère, Morna, la seconde épouse du défunt laird MacNeely.
   Il plissa le front d’un air déterminé et la regarda avec une sagacité qu’aucun enfant de son âge n’aurait dû posséder. Malgré son jeune âge, il avait déjà connu son lot de tragédies. Elle priait le Ciel qu’il n’en vive plus.
   Elle déposa un baiser sur le front de l’adorable petit démon et se releva. Le ventre noué par l’angoisse, elle l’entraîna lentement vers l’escalier en colimaçon qui donnait sur l’arrière du château.
   Du moins, c’était ce qu’avait affirmé la femme de chambre qui l’avait aidée à préparer leur évasion. Il fallait espérer que sa nouvelle amie ne lui avait pas menti et ne l’avait pas trahie.
   Callie n’en pouvait plus. Ils devaient fuir. Si elle entendait un autre sassenach se moquer d’elle ou faire d’autres commentaires insultants sur son héritage écossais, elle lui couperait la langue.
   C’était surtout le traitement réservé à son frère qui la révoltait. Fils de laird, il était d’un rang équivalent aux plus titrés des Anglais. Or ces monstres l’obligeaient à les servir comme un vulgaire paysan tout en le raillant et en le rabaissant. Elle ne supportait plus de voir Jamie pleurer, ni de regarder les chevaliers le maltraiter et lui donner des tapes sur la tête.
   Ces Anglais étaient des animaux !
   Depuis que les soldats du roi Henry avaient tué ses gardes et l’avaient capturée avec son petit frère alors qu’ils se rendaient chez une tante malade, Callie n’avait qu’une idée en tête : s’enfuir et rentrer chez elle.
   En dépit de ses ruses, ses maudits geôliers déjouaient tous ses plans et finissaient toujours par l’intercepter.
   Pas cette fois. Cette fois, elle réussirait.
   Elle le sentait.
   Serrant la main de Jamie, elle s’arrêta en haut des marches. Là, elle écarta les pans de son épais voile en lin et tendit l’oreille.
   Pas un bruit.
   Plus rien ne se dressait entre eux et la liberté !
   Aelfa, la femme de chambre, leur avait assuré qu’une porte en bas de l’escalier donnait sur une cour, à quelques mètres de la poterne qu’utilisaient les domestiques durant la journée pour aller et venir entre la ville et le château. Une fois là, avait-elle promis, personne ne pourrait les arrêter.
   Le cœur battant, elle dévala les marches à toute allure, Jamie sur ses talons.
   Libres !
   Elle sentait déjà le parfum grisant de la liberté. Dans son euphorie, elle trébucha soudain contre un obstacle. Elle bascula en avant et tendit les bras devant elle pour tenter de se retenir, en vain. Juste avant de tomber, elle sentit des bras puissants se refermer sur elle et la plaquer contre un torse aussi dur que les murs en pierre autour d’elle.
   L’homme la relâcha aussitôt. Il se tenait une marche plus bas.
   -Bon sang, regardez où vous mettez les pieds !
   Jamie ouvrit la bouche, et Callie lui plaqua aussitôt une main sur les lèvres. Prenant son meilleur accent anglais, elle déclara :
   -Excusez-moi, milord.
   Puis elle releva les yeux vers lui.
   Étant grande, elle avait l’habitude de regarder les hommes en face. Or, là où elle s’attendait à trouver un visage, elle ne vit que de larges épaules.
   Son pouls s’accéléra. Il était entièrement vêtu de noir. Elle n’avait jamais vu un homme en noir qui ne soit pas un homme d’Église. Mais ce n’était certainement pas le cas de l’inconnu.
   Son haubert, son camail et son surcot, tous noirs comme la nuit, ne portaient aucun blason.
   C’était étrange.
   Elle tenta de reculer, mais en fut empêchée par Jamie qui se tenait sur la marche derrière elle. Elle se sentit piégée par la présence intimidante du chevalier. Son instinct lui disait que cet homme était très dangereux.
   Son regard remonta le long d’un cou large et hâlé marqué par une profonde cicatrice, se posa ensuite sur une mâchoire virile et trouva enfin des yeux, les yeux du diable en personne. D’un noir de jais, ils brillaient d’ardeur et d’intelligence et semblaient la transpercer.
   Jamais encore elle n’avait vu un tel homme. C’était sans aucun doute le plus beau qu’elle eût jamais croisé. Ses traits sculptés étaient bien définis, avec une mâchoire carrée teintée par l’ombre d’une barbe noire. Il portait ses cheveux d’ébène au niveau des épaules, à la manière de ses compatriotes des Highlands. En le regardant mieux, elle distingua une cicatrice à peine visible au-dessus de son sourcil gauche.
   Cependant, c’étaient ses yeux qui la retenaient captive. Si sombres qu’elle ne voyait même pas leur pupille, ils étaient froids et vides. Plus angoissant encore, ils l’observaient avec beaucoup trop d’intérêt.
   Se souvenant qu’elle était vêtue comme une servante alors que l’inconnu devant elle était, de toute évidence, un lord, elle préféra se sauver rapidement.
   Elle esquissa une petite révérence, saisit la main de Jamie et, passant devant l’homme en noir, dévala les dernières marches.
    
   
   Perplexe, Sin entendit la porte claquer un peu plus bas. Ce qui venait de se passer lui paraissait très étrange, et pas seulement à cause de la puissante décharge érotique qu’il avait ressentie en regardant dans les yeux verts de l’inconnue.
   Son instinct affûté par des années d’entraînement tentait de le prévenir de quelque chose.
   Il ne parvenait pas à effacer l’image de sa bouche en cœur et regrettait de ne pas connaître la couleur de ses cheveux – elle portait un affreux voile bleu ciel qui n’allait pas du tout avec la couleur de ses yeux ni avec son teint doré.
   Elle était envoûtante.
   Fascinante.
   Et agréablement grande.
   Il avait rarement l’occasion de rencontrer des femmes de cette taille. Bien qu’elle fût un peu trop mince à son goût, sa poitrine était suffisamment opulente pour satisfaire même son insatiable frère Braden.
   Quant à ses yeux…
   Ils étaient vifs et chaleureux, brillants de vitalité et d’intelligence. Ils étaient…
   "Un peu trop directs", se rendit-il soudain compte. Une servante ne soutenait pas le regard d’un lord, encore moins le sien, avec une telle fierté. Elle ne s’était pas recroquevillée devant lui, ce qui signifiait qu’elle ne connaissait pas son identité.
   Or il ne pouvait y avoir qu’une seule personne à la cour du roi Henry à l’ignorer.
   L’Écossaise.
   Et elle se dirigeait vers la poterne.
   Sin lâcha un juron et courut derrière elle.
    

   Callie s’arrêta brusquement en voyant un groupe de chevaliers approcher. Ils étaient six, tous armés car ils revenaient de leur entraînement. Ils se dirigeaient vers le château et allaient croiser son chemin.
   Elle ne pouvait croire sa malchance !
   La main de Jamie trembla dans la sienne. Elle exerça une légère pression sur ses doigts pour lui donner du courage.
   Il ne leur restait pas d’autre option que d’y aller au culot. Peut-être les chevaliers ne leur accorderaient-ils aucune attention et les laisseraient-ils passer.
   Elle baissa les yeux, contourna les hommes et se dirigea vers la poterne.
   -Tiens, tiens, fit l’un d’eux. Qu’avons-nous là ?
   -Ma foi, une bien belle servante, dit un autre. Exactement ce qu’il nous faut.
   Ses compagnons s’esclaffèrent.
   -Toi, tu sais parler aux femmes, Roger !
   Callie accéléra le pas, mais l’un des hommes lui barra la route.
   Elle s’arrêta net et lui lança un regard furtif. Une lueur lubrique brillait dans ses yeux bruns. Il n’était pas dans sa nature de courber l’échine. Sans la présence de son frère, elle ne s’y serait jamais abaissée.
   -Pardonnez-moi, milord, dit-elle, le mot lui écorchant la bouche. J’ai du travail à faire.
   -Justement, ma belle, j’en ai un petit pour toi.
   Au cas où elle n’aurait pas compris, il se palpa l’entrejambe et soupesa ses bourses.
   Callie serra les mâchoires. Elle était piégée. Néanmoins, elle ne se laisserait pas faire sans se défendre.
   Le chevalier l’attrapa par le bras et l’attira à lui pour l’embrasser. Juste au moment où ses lèvres allaient rencontrer les siennes, elle lui envoya un coup de genou dans les parties dont il était si fier.
   Il la lâcha en grognant de douleur.
   Ne pensant qu’à sa survie, Callie saisit la poignée de l’épée du chevalier qu’elle sortit de son fourreau.
   Les hommes la raillèrent.
   -Repose ça, petite. Tu vas te faire mal.
   Elle fit virevolter la poignée dans sa paume et agita l’épée autour d’elle avec adresse.
   -Le seul qui risque d’avoir mal, c’est l’un de vous, répliqua-t-elle sans plus se donner la peine de cacher son accent. Écartez-vous de mon chemin.
   Cette fois, ils ne riaient plus.
   L’un des plus courageux dégaina à son tour son arme. Callie et lui se toisèrent quelques instants. Elle savait ce qu’il pensait. Il la croyait faible et maladroite.
   Certes, elle était une femme. Toutefois, son père lui avait enseigné à manier l’épée dès son plus jeune âge. En matière de combat, le chevalier capable de battre un Highlander n’était pas encore né. Même si ce Highlander était une femme.
   Celui qu’elle avait frappé rejoignit les autres en boitant.
   -Vas-y, Roger, dit-il. Montre-lui qui est le maître.
   -J’en ai bien l’intention, répondit ledit Roger en se léchant les lèvres. Je vais le lui montrer de plus d’une manière.
   Il attaqua.
   Callie para aisément son premier coup. Puisque ce rustre tenait tant à se battre, elle lui donnerait une bonne leçon.
   -Cours ! cria-t-elle à Jamie.
   L’enfant ne fit que quelques mètres avant d’être rattrapé par l’un des chevaliers.
   Maudissant sa malchance, Callie continua d’affronter son ennemi. Elle était sur le point de le désarmer lorsqu’une voix froide s’éleva :
   -Lâchez votre épée, milady.
   Du coin de l’œil, elle reconnut l’homme de l’escalier. Le plus surprenant fut la réaction des autres chevaliers.
   Ils reculèrent précipitamment.
   Roger lança un regard vers le chevalier noir et grimaça.
   -Ne vous en mêlez pas. Cela ne vous regarde pas.
   -Vu la manière dont la dame vient de vous humilier en maniant l’épée mieux que vous, je doute que vous vouliez à présent goûter à la mienne. Je me trompe ?
   Roger hésita.
   -Laisse tomber, Roger, dit l’un de ses compagnons. Tu sais qu’il n’attend qu’une occasion pour te tuer.
   Roger hocha lentement la tête, puis abaissa son arme et fit demi-tour.
   Callie se tourna vers l’homme qui avait effrayé ses agresseurs. Immobile, il l’observait fixement sans rien laisser paraître de ses pensées ou de son humeur. Il ne clignait même pas des yeux.
   Il était vraiment intimidant.
   Elle tint fermement son épée devant elle.
   Le chevalier noir esquissa un sourire froid.
   -Je constate que vous savez manier l’outil d’un homme, déclara-t-il, faisant ricaner plusieurs chevaliers.
   Callie rougit devant la crudité de sa remarque.
   -Je n’apprécie pas ce genre d’obscénité, rétorqua-t-elle.
   -Ce n’était pas une insulte, milady. Loin de là. J’admire une femme qui sait se défendre.
   Elle n’arrivait pas à savoir s’il était sincère ou s’il se moquait d’elle.
   -À présent, lâchez votre arme, ordonna-t-il.
   -Non. Pas avant que mon frère et moi soyons libres.
   -Milady ?
   Callie reconnut la voix de la femme de chambre qui l’avait aidée et lui avait fourni des vêtements. La jeune fille sortit de l’ombre de la porte.
   -Faites ce qu’il vous dit, Milady. Croyez-moi, vous ne le connaissez pas. Vous ne voulez surtout pas le contrarier.
   Le chevalier noir tendit la main.
   -L’épée.
   L'espace d’un instant, elle fut sur le point de la lui donner. Puis elle lança un regard vers Jamie et comprit qu’elle ne pouvait céder. C’était leur dernière chance.
   Elle avança vers le chevalier, sa lame dirigée vers sa gorge. Il ne sourcilla pas, se contentant de la regarder de ses yeux noirs et sans âme. Calme. Patient. Telle une vipère attendant que sa proie soit suffisamment proche pour attaquer.
   Elle hésita.
   Soudain, avec une vitesse fulgurante, il coinça la pointe de son épée entre ses deux avant-bras et la fit virevolter hors de la main de Callie. L’arme s’envola en décrivant un arc de cercle. Il la rattrapa par la poignée, la fit tournoyer puis la planta profondément dans le sol à ses pieds.
   Son sourire était plus froid que jamais.
   -Votre mère ne vous a pas appris qu’on ne jouait pas avec le diable à moins d’être prêt à lui payer son dû ?
   Callie n’avait même pas eu le temps de ciller. Elle ne savait que répondre. Jamais encore un adversaire ne l’avait désarmée alors qu’il n’avait même pas dégainé sa propre arme. Son humiliation était totale.
   -Que dois-je faire du petit morveux ? demanda l’homme qui tenait Jamie.
   -Flanque-lui une bonne raclée puis envoie-le nettoyer les latrines, répondit un autre.
   -Non ! cria Callie.
   Tous les chevaliers se mirent à rire, sauf celui en noir. Celui-ci tourna son regard glacial vers les hommes.
   -Relâchez l’enfant, ordonna-t-il d’une voix calme.
   -Allez, milord ! On ne peut même plus s’amuser un peu ?
   -Ce qui m’amuse, moi, c’est d’éviscérer quiconque me contredit et m’agace, répondit le chevalier noir à celui qui avait parlé. Voulez-vous qu’on s’amuse un peu ensemble ?
   L’homme pâlit et lâcha aussitôt Jamie, qui courut se réfugier dans les jupes de Callie.
   -Tu as vu ce qu’il a fait ? lui chuchota-t-il. Aster mourrait s’il savait que tu as laissé un sassenach te désarmer.
   -Chut, fit-elle en le serrant contre elle tout en faisant face au chevalier noir.
   -Il est temps pour vous de regagner votre chambre, milady, déclara-t-il.
   Elle releva fièrement le menton dans un geste de bravoure un peu vain. Il savait aussi bien qu’elle qu’il avait gagné la partie. Pour cette fois.
   La prochaine fois, elle trouverait le moyen de damer le pion aux Anglais et de rentrer chez elle avec Jamie.
   La tête haute, elle tourna les talons et repartit vers le château, Jamie toujours accroché à ses jupes. La femme de chambre leur tint la porte, puis tressaillit en voyant le chevalier noir approcher à son tour.
   Il les suivit dans l’escalier. Callie sentait sa présence derrière elle, lui envoyant des ondes chaudes et froides à la fois. Jamie ne cessait de se retourner, l’air ébahi et clairement admiratif.
   Lorsqu’elle approcha de son étage, elle demanda par-dessus son épaule :
   -Dites-moi, pourquoi tout le monde a-t-il tellement peur de vous ?
   -Tout le monde craint le diable. Pas vous ?
   Pour la première fois, elle perçut une note d’amertume dans sa voix.
   -Vous n’êtes qu’un homme, répliqua-t-elle. Pas le diable.
   -Vous en êtes sûre ?
   -Je le sais.
   -Vous êtes donc sorcière, pour être en si bons termes avec le diable ?
   Parvenue sur la dernière marche, elle fit volte-face, furieuse. Des gens avaient été brûlés vifs ou pendus pour moins que cela. Les Anglais seraient sûrement ravis de l’accuser de sorcellerie et de la condamner à mort.
   -Je suis pieuse, lança-t-elle.
   Il se tenait si près d’elle qu’elle sentait son odeur chaude et propre. Ses yeux noirs la sondaient.
   -Pas moi, répondit-il d’une voix grave et basse.
   Elle frémit. De toute évidence, il était sincère.
   Puis il tendit la main et toucha sa joue. Son geste la surprit autant que la chaleur de ses doigts. Il laissa courir son index le long de son oreille avec une tendresse totalement inattendue qui déclencha des frissons dans tout son corps.
   Puis il écarta légèrement son voile, glissa un doigt dans ses cheveux près de sa tempe et en libéra une mèche.
   Son regard se durcit, et la commissure de ses lèvres s’incurva dans une moue de dégoût.
   -Rousse, maugréa-t-il. J’aurais dû m’en douter.
   -Je vous demande pardon ?
   Elle ne comprenait pas pourquoi la couleur de ses cheveux provoquait une telle réaction chez un être aussi impassible.
   Il retira sa main, et un rideau parut retomber devant son regard.
   -Aelfa, dit-il à la femme de chambre. Conduis-la dans sa chambre et veille à ce qu’elle y reste.
   -Bien, milord, répondit la jeune fille en s’inclinant profondément.


   Sin ne bougea pas jusqu’à ce que l’Écossaise soit rentrée dans sa chambre.
   Tu aurais dû la laisser s’échapper.
   En vérité, il en avait d’abord eu l’intention. Seule sa loyauté envers Henry l’en avait empêché.
   Ainsi que le fait de savoir qu’il n’aurait pas à l’épouser. Même Henry ne possédait pas un tel pouvoir ni une telle fortune.
   Cependant…
   Il ressentait une pointe de regret en songeant à la manière dont elle avait désarmé Roger.
   Cette fille avait du cran, il devait le reconnaître. Même si, chez un ennemi, ce genre de courage était plus une malédiction qu’une vertu.
   Il était bien placé pour le savoir.
   Il secoua la tête pour chasser les mauvais souvenirs qui menaçaient de remonter à la surface et s’engagea dans l’étroit couloir menant à sa chambre, qui se trouvait être à côté de celle de l’Écossaise.
   L’audace de Henry n’avait décidément pas de bornes. Il n’était pas étonnant qu’il soit parvenu à monter sur le trône : il était plus têtu qu’une mule. Pas assez, néanmoins, pour imposer sa volonté à Sin.
   Ce dernier entra dans sa chambre spartiate. Il passait un temps considérable à la cour de Henry mais, contrairement aux autres courtisans logés au château, il se souciait peu du luxe de ses quartiers. Tant que son lit était assez grand pour le contenir et s’accompagnait d’une couverture, cela lui suffisait.
   Il ôta précautionneusement son surcot et son haubert, qu’il déposa sur la petite malle au pied de son lit. Puis il examina les dégâts causés par l’épée de l’Écossaise sur ses avant-bras.
   Il délaça les manches de sa jaque tout en s’approchant du meuble de toilette. Après avoir posé le justaucorps molletonné sur le dossier d’une chaise, il versa de l’eau dans la bassine et commença à laver le sang sur ses bras. Alors qu’il saisissait une serviette, il entendit du bruit au-dehors.
   Oubliant ses plaies, il saisit son épée sur le lit et ouvrit la porte de sa chambre.
   Trois membres de la garde royale traînaient l’enfant hors de la chambre de l’Écossaise tandis qu’un quatrième retenait cette dernière. Le gamin braillait telle une harpie à l’agonie tandis que la femme se débattait comme une tigresse.
   -Que se passe-t-il ? demanda-t-il.
   Le garde le plus proche de lui pâlit puis répondit précipitamment :
   -Sa Majesté demande que l’enfant soit placé ailleurs.
   -Pas question ! cria l’Écossaise. Vous ne me le prendrez pas. Vous allez le maltraiter. Ne lui en avez-vous pas déjà assez fait subir ?
   -S’il te plaît ! gémit le garçon. Ne les laisse pas m’emmener ! Je ne veux plus être battu !
   Il donnait des coups de pied et s’agitait tant qu’il en perdit une chaussure.
   Sin sentit la moutarde lui monter au nez.
   La femme lutta de plus belle contre le garde qui la maintenait. Si elle continuait ainsi, elle finirait blessée et en sang, et le garçon aussi.
   -Lâchez-le, ordonna-t-il.
   Tout le monde se figea.
   Le garde qui retenait l’Écossaise déclara :
   -Milord, ce sont les ordres du roi.
   Sin lui lança un regard mauvais qui fit reculer l’autre de deux pas.
   -Dites à Sa Majesté que j’en prends la responsabilité.
   -Si elle s’enfuit avec le garçon ? demanda un autre.
   -Je les surveillerai. Vous croyez vraiment qu’elle m’échappera, à moi ?
   Le garde parut hésiter. Sans doute se demandait-il s’il redoutait plus la colère de Henry ou celle de Sin.
   Au bout de quelques instants, il libéra l’enfant, qui se précipita vers sa sœur.
   -Je rapporterai vos propos au roi, déclara le garde.
   Dans sa voix, le ressentiment était tempéré par la peur.
   -Faites donc, répliqua sèchement Sin.
   Lorsque les gardes furent partis, Callie lança un regard au chevalier noir venu au secours de son frère. Elle était touchée par sa bonté et aurait voulu le remercier, mais elle ne parvenait pas à prononcer un mot. Elle ne pouvait que le regarder avec des yeux ronds.
   Son torse nu était aussi impressionnant et puissant qu’il lui était apparu lorsqu’il était couvert d’une cotte de mailles. Son corps était dur, tout en muscles bien dessinés qui remuait à chacune de ses inspirations.
   Ce qui la frappait le plus, c’étaient les nombreuses cicatrices qui zébraient sa chair. Il semblait avoir survécu à d’innombrables et indicibles batailles. Cette vision lui serra le cœur.
   Puis elle vit le sang sur ses avant-bras.
   -Vous êtes blessé !
   Il baissa les yeux vers ses plaies.
   -C’est ce qu’il semblerait, dit-il simplement.
   -Avez-vous quelqu’un pour vous soigner ?
   -Je me soigne moi-même.
   Il fit un pas vers sa chambre, et Callie le suivit.
   -Voulez-vous que je demande à ma femme de chambre de venir vous panser ?
   -Non.
   Il s’arrêta sur le seuil de sa chambre et posa un regard acerbe sur elle, puis sur Jamie. Son expression visait sans doute à les glacer d’effroi, afin qu’ils se recroquevillent devant lui comme tout le monde le faisait. Même si elle n’était pas très sûre d’elle, elle ne courbait la tête devant personne. Elle lui avait déjà démontré qu’elle ne se laissait intimider par aucun homme.
   -Je ne veux pas être dérangé, ajouta-t-il.
   -Mais vos blessures…
   -Guériront, l’interrompit-il.
   Cet homme était insupportable. Tant pis pour lui, qu’il pourrisse à petit feu.
   Callie tourna les talons, prit Jamie par la main et entra dans sa chambre.
   Toutefois, elle n’y resta pas. Comment l’aurait-elle pu ? Elle savait comment il s’était blessé.
   En arrêtant son épée.
   Naturellement, il aurait été indemne s’il l’avait laissée partir. Par ailleurs, il les avait sauvés, Jamie et elle, de la violence des autres. Que cela lui plaise ou non, elle lui était redevable.
   Elle sortit donc son panier à ouvrage ainsi qu’un petit sachet d’herbes de sa malle, ordonna à Jamie de rester avec Aelfa, puis rouvrit sa porte.
   Déterminée à s’acquitter de sa dette, elle alla trouver le diable dans son antre. Elle espérait simplement qu’il ne la dévorerait pas toute crue.

 

 

     

 

 


Texte original © Kinley MacGregor - 2003
Traduction © J'ai Lu Pour Elle - 2020